Rey raconte une anecdote concernant la prédication enthousiaste d’Eugène et la réponse moins enthousiaste du pasteur local de St. Laurent.
Pendant les trois dimanches qu’il passa à Saint-Laurent, le P. de Mazenod se chargea, de faire le Prône, en Provençal, à l’église de la paroisse, il expliqua le Symbole. Le dernier dimanche comme il voulait compléter ses instructions, il prolongea son discours au-delà du terme accoutumé. C’était un jour de messe chantée. Cependant le curé, excellent d’ailleurs et d’une grande vertu, s’impatientait de cette longueur dont il ne comprenait pas la raison. Il relevait sa soutane, regardait sa montre et murmurait presque à haute voix contre ce discours qui ne finissait pas. Enfin, il n’y tint plus et interpellant le prédicateur, il lui crie: «Mais, Monsieur, finissez, sinon â midi nous y sommes encore. — Encore un instant. Monsieur le Curé, et j’ai dit ». Il parait que cet instant fut bientôt trop long pour le Curé, qui tout à coup, se levant de son siège, s’en va au milieu de l’autel et d’une voix retentissante entonne: Credo in unum Deum; alors le prédicateur de descendre immédiatement de la chaire sans articuler un seul mot et le sourire sur les lèvres. Les habitants se montrèrent peines du tour exécuté par le Curé que le P. de Mazenod après l’office excusa auprès de ces braves gens. Les frères Suzanne et Moreau furent édifiés du calme et de l’impassibilité de leur supérieur..
Rey I, note, p. 230
La petite histoire complète souvent de façon magistrale le sérieux obligé de certaines biographies. De l’anecdote précédente on peut bien dire qu’elle est mi-figue mi-raisin.
On connaît tous des historiettes mettant en scène des orateurs tellement pris par leur sujet qu’ils en oublient le temps qui passe et l’inconfort grandissant de ceux qui les écoutent….
Très facile à comprendre qu’Eugène de Mazenod expose avec feu les sujets dont il s’est promis d’entretenir les paroissiens de Saint-Laurent. De là à le voir dépasser les limites de temps habituelles il n’y a qu’un pas. Le dernier prône prononcé dans cette paroisse devant « compléter les instructions » précédentes, il est normal que le zélé missionnaire ne veuille rien laisser au hasard, qu’ il s’attarde à profusion sur certains détails que quelques mots auraient suffi à expliquer.
Les paroissiens doivent bien commencer à laisser dériver leurs pensées en espérant la fin de l’interminable sermon. Le curé, lui, est franchement impatienté.
Le biographe Rey en brosse un tableau savoureux : « Il relevait sa soutane, regardait sa montre et murmurait presque à haute voix contre ce discours qui ne finissait pas. Enfin, il n’y tint plus et interpellant le prédicateur, il lui crie: «Mais, Monsieur, finissez, sinon â midi nous y sommes encore. — Encore un instant. Monsieur le Curé, et j’ai dit. » Et Rey de continuer : « Il parait que cet instant fut bientôt trop long pour le Curé, qui tout à coup, se levant de son siège, s’en va au milieu de l’autel et d’une voix retentissante entonne: Credo in unum Deum ».
Coup de maître qui a dû demander une certaine audace. ! Qui pouvait prévoir les réactions du missionnaire tellement pris par son désir d’instruire et voit son envolée si abruptement interrompue ? Ce que nous savons du tempérament d’Eugène aurait pu faire craindre une réaction à l’avenant.
Mais non. Incroyablement, le voici qui descend « immédiatement de la chaire sans articuler un seul mot et le sourire sur les lèvres » ! Incroyable mansuétude de notre Fondateur : après la messe, il va même jusqu’à excuser le curé auprès des paroissiens mal à l’aise.
De quoi édifier tout le monde, particulièrement les deux frères Suzanne et Moreau qui connaissent bien leur Supérieur !
Et de quoi donner matière à réflexion à ceux d’entre nous dont les ripostes rivalisent parfois avec la vitesse de l’éclair !