En 1822, la ville de Marseille a été mise sur le devant de la scène avec le mouvement de restauration du Diocèse de Marseille, que la Révolution française avait supprimé. Il n’y avait pas eu d’évêque à Marseille depuis 21 ans, et ce territoire était administré par l’Archevêque d’Aix (et Aix n’avait pas eu non plus d’évêque pendant plusieurs années). Par conséquent, l’église de Marseille n’était pas en bon état. Avec la chute de Napoléon et la restauration de la monarchie, la route pour le rétablissement de tous les diocèses supprimés pendant la Révolution s’est éclaircie. En 1807, l’oncle d’Eugène, Fortuné de Mazenod, avait été nommé Evêque de Marseille, cependant, des considérations politiques et économiques avaient empêché la restauration du diocèse.
Les gens de Marseille avaient pris parti au sujet de la nomination du futur évêque. Certains, dans les classes supérieures, soutenaient Forbin Janson, alors que les classes plus pauvres soutenaient Fortuné. Les plus aisés avaient les moyens et le pouvoir de soutenir leur candidat, et dénigraient Fortuné. Ils propageaient l’idée qu’il était trop vieux et sénile pour devenir évêque. En fait, il avait 72 ans, et était plein d’énergie et de bonne volonté. Ils avaient écrit à Paris pour dire qu’il était tombé dans un état proche de la décrépitude et un article avait été publié à ce sujet.
Eugène a décidé de ne pas réagir publiquement à cet article :
Ce n’est pas par indifférence ni par fausse vertu que je n’écris pas à Paris. Je persiste à croire que nous avons fait tout ce que la prudence humaine exigeait pour détourner les complots de la malveillance …
Il faut se livrer à la divine Providence et prier Dieu de diriger les événements selon son bon plaisir et non d’après les prétentions des hommes.
Nul doute à mes yeux que l’article de la France Chrétienne n’ait été fourni par la malignité et peut-être par les prétentions de l’intrigue. Ce qui le prouve c’est que les réflexions qu’il n’applique qu’à Marseille auraient également pu l’être pour Montauban dont le nouveau désigné se trouve absolument dans la même position que mon oncle.
Lettre à Hippolyte Courtès, 8 mars 1822, EO VI n 81
« Si tu es sur les rochers, ne désespère pas, sois un phare. » Anonyme
« Ce fut à Palerme [que Fortuné de Mazenod] apprit, en 1817, que le roi Louis XVIII l’avait désigné pour le siège épiscopal de Marseille (…) Le concordat de 1817, en vertu duquel le siège de Marseille était rétabli, rencontra des difficultés d’application et la nomination fut ajournée jusqu’en 1823. »(*)
Le temps d’attiser les opinions au sujet des candidats ! Campagne électorale dirait-on aujourd’hui, avec tout ce qu’elle sous-entend de parti-pris et de manque d’élégance. Question de classe aussi, Forbin-Janson favori de la classe aisée et propos désobligeants sur la capacité de Fortuné à assumer les fonctions d’évêque de Marseille…
Et dans tout cela, bien sûr, Eugène de Mazenod qui a déjà eu maille à partir avec certains membres du clergé. Eugène qui voit dans l’évidente partialité d’un article de « La France chrétienne » la preuve irréfutable de « malignité et peut-être » aussi d’intrigue prétentieuse.
On pourrait s’attendre à voir l’épistolier habile, prendre la plume pour répondre de belle façon aux détracteurs de l’oncle Fortuné…
Rien de tout cela. Bien au contraire, il écrit au P. Hippolyte Courtès. « Il faut se livrer à la divine Providence et prier Dieu de diriger les évènements. »
Voici qui pourrait sembler bien commode si on ne savait que « tout ce que la prudence humaine exigeait pour détourner les complots de la malveillance » a été fait … » D’ailleurs la guerre à outrance n’a jamais été un chemin bien favorable à une entente satisfaisante.
Un proverbe ne dit-il pas : « Qui fait ce qu’il peut fait ce qu’il doit » ? Dès lors, et quoi qu’il en coûte, la seule attitude possible du chrétien ne réside-t-elle pas dans l’adhésion aux chemins que la Providence signifiera ?
(*) http://www.omiworld.org/dictionary.asp?v=6&vol=1&let=M&ID=322