Dans son journal privé, Eugène continuait à noter ses impressions du matin, comme il s’en rappelait. Il ne pouvait résister de noter son amusement à la vue du prêtre dominicain présent dans la salle d’audience, et dont l’inconfort était évident à mesure que son estomac vide gargouillait, et dont la figure devait avoir l’air d’une peinture quand Eugène fut appelé avant lui chez le Pape !
Je n’entreprendrai pas de transcrire tout ce qui s’est passé dans cette précieuse audience qui dura plus d’une demi-heure, au grand regret sans doute du père Dominicain qui n’avait pas dîné, non plus que moi qui étais à jeun.
Son expérience de la personne du Pape en fut une de bonté indescriptible.
Le pape me témoigna une bonté indicible. Il parla très longtemps, et il m’écoutait avec une grande attention quand je parlais à mon tour. La conversation avait lieu en italien, et il me parlait toujours à la troisième personne, dans les termes les plus polis. Il daigna me donner des explications très détaillées là où il aurait pu trancher par un mot.
Journal romain, 20 décembre 1825, EO XVII
À Henri Tempier il confiait :
Il me serait impossible de vous rapporter tout ce qui fut dit, moins encore de vous rendre la bonté, la complaisance, la politesse du souverain Pontife. J’étais à genoux à côté de lui. Plusieurs fois il me fit des instances pour que je me levasse; je ne le voulus pas, j’étais bien à ses pieds; d’ailleurs je m’appuyais contre le bureau. Je serais resté plus longtemps dans cette position sans en être incommodé..
Lettre à Henri Tempier, 22 décembre 1825, EO VI n 213
« La bonté est le langage que le sourd peut entendre et l’aveugle peut voir. » Mark Twain
20 décembre 1825 – Journal romain
La rencontre avec le Pape va se prolonger au-delà d’une demi-heure. « Au grand regret sans doute du père Dominicain qui n’avait pas dîné, non plus que moi qui étais à jeun. » note plaisamment Eugène.
S’il parle abondamment, le Souverain Pontife sait aussi faire montre d’une grande attention aux propos de son interlocuteur. Eugène est séduit par «la bonté, la complaisance, la politesse » du Pape qui s’exprime en italien et « toujours à la troisième personne ». Détail qui m’a fait sursauter. J’ai appris que cette tournure est généralement employée pour parler de soi en tant que titulaire d’une fonction qui transcende la personne. Rien de plus normal donc lorsqu’il s’agit du Vicaire de Jésus Christ !
Deux jours plus tard, réflexions tout aussi heureuses dans la lettre à Henri Tempier. Avec quelques petits détails supplémentaires qui ajoutent à l’atmosphère chaleureuse. « J’étais à genoux à côté de lui. Plusieurs fois il me fit des instances pour que je me levasse; je ne le voulus pas, j’étais bien à ses pieds… » « D’ailleurs, se justifie Eugène, je m’appuyais contre le bureau. Je serais resté plus longtemps dans cette position sans en être incommodé… »
Le style dégagé ne montre-t-il pas un Eugène de Mazenod allégé d’un grand souci ? Cette audience obtenue à force de persévérance semble bien présager de l’avenir des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée.