En résumant les lettres d’Eugène de cette période, Pielorz nous donne un portrait de la vie d’Eugène à Palerme:
« Accueilli comme un membre intime d’une famille princière, Eugène n’est plus l’ascète vénitien, ni le poisson hors de l’eau du séjour à Naples. Il devient maintenant conscient de la noblesse de sa naissance et désire combler les brèches de son éducation aristocratique dont les déficiences deviennent de plus en plus évidentes pour lui.
Au cœur de ce milieu aristocratique, Eugène se proposait de gagner le respect des autres et de mettre en relief audacieux son titre et les privilèges de sa noble naissance. Il écrit à son père le 18 octobre 1799:
Je savais fort bien que le manteau et le mortier ne sont pas les attributs de mes armes, mais je ne me persuade pas qu’ils ne le soient pas des vôtres, attendu qu’il me semble qu’il suffit avoir possédé une dignité pour en porter les attributs; ainsi les familles des grand-maîtres de Malte portent-elles la croix au-dessus de leurs armes, etc.
J’ai été enchanté d’apprendre une partie de ma généalogie, car je suis totalement ignorant sur ce qui regarde ma famille. Cependant, comme je suis déjà assez grand et lui suis fort attaché, je voudrais de temps en temps en avoir des petits détails tels que ceux que vous avez eu la bonté de me donner des Lombards.{ed. Lombards. Une des aïeules de la famille Mazenod, Jeanne, deuxième enfant de Charles-Joseph-Paul et de Marie Grimaud, épousa en deuxième noce Ignace Lombard de Montauroux, seigneur de Malignon et mourut à Aix à 64 ans le 23 février 1744]
Une fois qu’il eût appris sa généalogie, il pensa qu’elle était, en tout, aussi bonne que celle des comtes siciliens. À partir de maintenant , son titre devrait être: Signor Conte Eugenio de Mazenod [Monsieur le Comte Eugène de Mazenod]. “Les italiens l’appellent Eccellenza [Votre Excellence], à partir de ses biceps, il contino [le petit Comte],” ce qu’écrivait à Ninette le Président de Mazenod, le 19 octobre 1802…
Le 18 octobre 1799, il contino (le petit comte) Eugène écrivait à son père:
Quelle disgrâce pour un comte de ne pas savoir comment tirer, conduire un cheval, chasser ou danser. Il prendra alors avantage des leçons de chasse et de conduite que le tuteur de la famille Cannizzaro donnera.
Cette image est très différente de celle de Venise. Ce n’est plus le style de vie presque monastique sous la supervision sage et aimante de Don Bartolo. C’est la vie en plein air, la vie de château mondaine et frivole. Les jeûnes de Venise laissent la place aux excellents dîners de la cuisine sicilienne, repas dont l’appétit du jeune homme saura tirer avantage.
Eugène va de partie de plaisir en partie de plaisir, de réception en réception. En un mot: de mondanité à mondanité. »
Pielorz, La Vie Spirituelle… page 90
Il faudra encore quelques années avant qu’Eugène reçoive la grâce de découvrir où la vraie noblesse repose dans sa vie.
“Il n’y a rien de noble à être supérieur à vos concitoyens. La vraie noblesse consiste à être supérieur à votre ancien moi.” Ernest Hemingway
À Palerme, des portraits de famille impressionnants ornaient sûrement les murs du château des Cannizzaro. Incitation pour Eugène de se préoccuper à son tour de ses propres origines. Sans doute a-t-il parlé généalogie avec les fils de duc. Et de la vie à Aix à M. de Mazenod ex-Président de la Cour des Comptes. Rien que de très normal. Comme se développe chez le fils l’idée de… la possibilité de… se trouver un blason qui lui permettrait de briller davantage dans la société huppée maintenant devenue son univers.
« Il prit le titre de « Comte de Mazenod », s’initia aux habitudes de cour et se mit à rêver à un brillant avenir. » (*) On peut s’étonner en découvrant ce qu’on peut qualifier de faiblesse chez le futur saint Éugène. Mais quoi ? Plongé dans l’univers des Cannizzaro, n’était-il pas normal que jaillissent souvenirs et questions de l’époque où les de Mazenod étaient des citoyens honorés?
En 1803, la sœur d’Eugène écrit à leur père : « “Les italiens l’appellent Eccellenza [Votre Excellence], à partir de ses biceps, il contino [le petit Comte]…” Tout est consommé. Même les lettres de don Bartolo Zinelli n’arriveront pas à enrayer cette poussée de grandeur.
Comment le Président a-t-il réagi à toute cette situation ? Se pourrait-il qu’il ait participé avec émotion à la quête généalogique et approuvé d’une certaine façon ce titre de noblesse, peut-être d’ailleurs partiellement justifié ?
Que celui qui n’a jamais rêvé lui jette la pierre !
(*)http://www.vatican.va/news_services/liturgy/saints/ns_lit_doc_19951203_de-mazenod_fr.html