Comme membre des bénévoles envers les prisonniers, Eugène avait un certain succès dans la plupart de ses entreprises. Leflon décrit son éventuelle faillite en n’obtenant pas que le vieux pain rassis ne leur soit plus délivré. Sa réaction était une preuve de l’aiguillon qui poussa Eugène à résigner son emploi:
En revanche, les abus du boulanger Caries, qu’il avait osé dénoncer à la compagnie, continuent de plus belle. Malgré des avertissements réitérés, celui-ci n’en persiste pas moins à exploiter les détenus, car il semble jouir de certaines protections. Il va même jusqu’à injurier les semainiers qui lui présentent des observations sur la mauvaise qualité de son pain. Les administrateurs s’émeuvent enfin, lorsqu’un des derniers recteurs nommés, Jérôme Vial, pour protester contre ces insultes intolérables, résigne ses fonctions en septembre. Ils se décident alors à formuler une mise en demeure : de deux choses l’une, ou le maire de Fortis remplacera le boulanger, ou il les dispensera de vérifier les livraisons de celui-ci. Or, le dit maire de Fortis prétendit maintenir le statu quo, en arguant que le semainier jouissait des pouvoirs voulus pour exercer un contrôle efficace.
Entre temps, Eugène de Mazenod. avait, comme son collègue Vial, donné sa démission de recteur. Mais tandis que celui-ci la motivait en se déclarant dans l’impossibilité « de remplir dignement les obligations que chacun de nous doit avoir contractées en acceptant les obligations que j’avais été appelé à partager avec vous», il se contenta d’invoquer ses affaires domestiques, « qui absorbent entièrement le temps qu’il désirerait employer aux fonctions charitables auxquelles il avait été appelé». Jugea-t-il, lui aussi, inutile de poursuivre en faveur des détenus une action qui se heurtait à des oppositions insurmontables et à la passivité de ses collègues? Lui laissa-t-on entendre que son zèle juvénile était quelque peu excessif et détonnait avec la sagesse traditionnelle de la compagnie? En tout cas, personne n’essaya de le retenir. Si les prisonniers y perdirent, l’Œuvre des prisons retrouva sa douce quiétude, car, à en juger par les comptes rendus suivants des séances, celle-ci se cantonna dans une tâche purement administrative et signa bien régulièrement des mandats sans se préoccuper beaucoup de faire œuvre humaine et chrétienne. Cette expérience du moins avait été fort utile en révélant à Eugène des misères matérielles et morales qu’il ne soupçonnait guère.” Leflon I, p. 303-304
Cette expérience devint pour le jeune Eugène une occasion d’apprendre, lui qui vivait , en même temps, des expériences de changement de vie concernant ses “affaires domestiques” personnelles.
“Au lieu du découragement et de l’adversité, ceux qui sont les plus heureux semblent avoir une façon d’apprendre à partir des difficultés, de devenir plus forts, plus sages, plus heureux.” Joseph B. Wirthlin
Rien ne va plus. Les efforts pour assainir le climat des prisons sont vains. Les abus du boulanger Caries… continuent de plus belle. Sans doute jouit-il d’une protection en haut lieu qui lui permet même d’injurier les ‘’semainiers’’ qui osent l’interpeller.
On aurait donné sa démission pour moins. Ce que font Eugène et un de ses collègues. Le semainier Vial fait état de son impossibilité à «remplir dignement les obligations que chacun de nous doit avoir contractées… » Demazenod fils se contente d’invoquer ses affaires domestiques, « qui absorbent entièrement le temps qu’il désirerait employer aux fonctions charitables auxquelles il avait été appelé»
Tout est dit. Aucun effort pour les retenir à leur poste. Sans doute l’administration est-elle contente d’être débarrassée de ces ‘’empêcheurs de danser en rond’’…
Et Eugène dans tout cela ! On peut bien avancer les relations devenues inharmonieuses avec les haut-placés de l’établissement. Il se peut aussi que, devant ses tentatives infructueuses, il ait ressenti un sentiment d’échec assez fort pour le conduire à une démission. Et une fierté, disons même un orgueil suffisant, pour ne donner d’autre explication que « ses affaires de famille ».
Inutile pour Eugène le temps passé en prison ? Pas du tout. D’une part, il aura été attentif à la compassion qui s’éveillait en lui à la vue de la misère des lieux. Il y aura vu l’exploitation éhontée du plus faible et comment la bonne volonté des uns est soumise au pouvoir des autres.
Une situation qui se répète d’âge en âge… Qui, loin de nous décourager, doit nous porter à faire ce qui est en notre pouvoir pour y apporter quelque amélioration..